Le défi Écrire une nouvelle entre 300 et 1000 mots. Type : Humour. Thème : Le confinement. Insaniam confinare
Le confinement va finir par me tuer. Ce n’est pas tant de devoir rester à la maison que de devoir y travailler. — Papaaaaa ! hurle la voix plaintive de ma progéniture. Elle n’a pas encore entrecoupé mon nom de haha, donc elle ne pleure pas vraiment. Je continue d’organiser le planning. La voisine du dessous commence à jouer de la flûte. Je sais qu’on n’a pas le choix, mais si on l’avait, je crois que je préférerais braver le monde extérieur quitte à me confectionner un masque avec une Pampers plutôt que d’avoir à supporter le fatras de mon immeuble. Je me demande si j’aurais le temps de vérifier sur YouTube s’il y a un tutoriel pour ça. La vieille madame Lefort, la voisine d’à côté recommence à vociférer contre moi en tapant contre le mur aussi fin que du carton qui sépare nos appartements. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour provoquer son ire cette fois. Quand je l’ai aperçue dans le couloir hier, elle tempêtait à cause du chien des Lovoski. — V'savez pas qu’faut les enfermer les animals sauvages ? C’t’eux qui portons l’virus, hein ! Ma montre bipe. Il est neuf heures, ma visioconférence commence dans une demi-heure, et je ne suis toujours pas prêt ! — Papaaaahahahaha ! D’accord, cette fois, pas le choix. Je trouve ma fille en pleurs dans le couloir qui sépare le salon des chambres. Les oreilles de chat qu’elle porte sans arrêt sur la tête sont complètement de travers. — Qu’est-ce qu’il y a, poussin ? J’arrive à temps pour retenir sa main et l’empêcher de se moucher dans la magnifique chevelure rousse qu’elle tient de sa mère. Elle tend immédiatement les bras vers moi et je la soulève pour la placer sur ma hanche. — Ze veux mon doudou ! geint-elle tristement en s’essuyant le nez sur l’épaule de ma chemise toute propre. Et moi je ne cracherais pas sur un cappuccino à la vanille, mais il semblerait que ce ne soit pas à l’ordre du jour. Plus que vingt-cinq minutes avant ma conférence. Je me lance à la chasse au doudou avec ma fille qui ne me répond que : « sais pas » quand je lui pose une question. Impossible de trouver la saleté. Après dix minutes, je me demande si elle aurait pu le laisser chez sa mère, mais non, elle s’en serait rendu compte plus tôt. Une seule chose est sûre, il n’est pas dans sa chambre. Il ne me reste plus qu’un quart d’heure avant ma conférence et j’abandonne la recherche. Au lieu de cela, je me prépare à la consoler à nouveau. Elle a cessé de sangloter, mais je sais qu’elle va recommencer dès qu’elle s’apercevra que je ne suis plus occupé à chercher son doudou. Et cela ne manque pas. — Mon douhou-douhou ! J’ai l’impression d’être le pire père du monde. Dix minutes avant ma conférence. Dans mon appartement, ce n’est pas encore l’apocalypse, mais le chat refuse de bouger du clavier de l’ordinateur et ma fille n’a de cesse de pleurer son doudou perdu. J’ai à peine complété le planning, je n’ai pas fini de répondre aux e-mails de la compagnie, je n’ai passé aucun des trois coups de fil que j’avais prévu ce matin, je suis assis sur le canapé, ma fille sur les genoux et de la morve sur ma chemise. Mes nerfs commencent à me lâcher et je crois que je vais me mettre à pleurer moi aussi. Je soupire profondément. C’était une mauvaise idée, car j’entends immédiatement une voix de l’appartement d’à côté. — Et j’savons, qu’vous respirez tout contre l’mur ! C’est pour m’envoyer le Corona en virus ! V'z'espérez que j’vont mourir, mais on s’meurt pas ceux d’mon espèce ! hurle la mère Lefort. Je soupire à nouveau. — J’vous entendons, hein ! La voisine du dessous répond par une fausse note à la flûte et un autre voisin hurle « Ta gueule, bordel ! » Je ne sais pas à laquelle des deux il s’adresse, ou peut-être que lui aussi m’a entendu soupirer, je m’attends à tout dans cet immeuble. — On va déménager, dis-je à ma fille. — Sans mon doudou ? s’inquiète-t-elle en levant vers moi ses grands yeux verts pleins de larmes. Ses yeux semblent être une caricature des miens : encore plus grands, encore plus verts. Je laisse tomber ma tête contre le dossier du canapé et grogne de dépit. — Haha ! lance la mère Lefort. J'mourrons point, j'vous dis ! — Merde ! râlé-je. — Oh ! Un grooos mooot ! — Miaou, fait le chat sur le clavier. Les premières notes de la chanson de Titanic à la flûte montent du plancher. — Mais tu vas la fermer, putain ! arrive la voix de je ne sais où. Le confinement va me tuer.
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Hello, Voici une petite réflexion sur le sujet La Nuit de l'Auteur. Si quelqu'un d'autre a envie de traiter le sujet, laissez-moi un lien, je serais intéressée de connaitre votre point de vue. La Nuit de l'Auteur
Je n’entends plus sa voix qu’au milieu de la nuit lorsqu’elle m’appelle, la voix alourdie, rauque d’alcool et de larmes, pour me dire à quel point je lui manque… à quel point elle me hait.
Parfois, elle rage et me dit qu’elle est heureuse avec lui, qu’elle adore sa douceur et qu’il lui apporte plus que je n’aurais jamais pu lui offrir. Si je parle, elle hurle ; si je me tais, elle pleure. Elle murmure des « je t’aime » aussi souvent qu’elle jure que notre rencontre était une malédiction qui la tue toujours à petit feu. Alors je me tais, je l’écoute se rappeler la chaleur de mes baisers, le parfum de ma peau. Je l’écoute me maudire, me supplier de lui foutre la paix, mais c’est elle qui m’appelle sans cesse, elle qui ne voulait pas de nous. Mais c’est elle qui souffre, elle qui pleure. Je ne peux qu’écouter. Rarement, je lui réponds : « je t’aime, mon cœur » et alors ses sanglots l’étouffent, elle gémit comme en résultat d’un coup. Elle dit toujours que c’est la dernière fois, mais ça ne l’est jamais. Parfois, des semaines passent, mais elle rappelle toujours pour me dire qu’elle me hait, que je lui manque comme l’air manquerait à ses poumons. Que je suis le fantôme qui hante chacun de ses pas. Je suis le dragon dans son conte de fée quand mon seul souvenir suffit à la tenir prisonnière. Je ne veux pas lui rappeler que si nous ne sommes plus rien, c’était sa décision. Son choix, pas le mien. Je l’écoute pleurer, s’épuiser, s’endormir. Je ferme les yeux, j’écoute ses respirations se faire plus régulières et je l’imagine là dans mes bras. Finalement je raccroche et j’essaie d’oublier sa douloureuse absence. Je reprends ma vie comme si de rien n’était, jusqu’à ce que le téléphone sonne et qu’à nouveau sa voix résonne au milieu de la nuit. Le soleil commence à filtrer doucement par les hautes fenêtres de mon appartement. Samedi est arrivé. Je regarde la toile blanche qui me nargue encore et j’ai envie de la jeter à terre, de l’ouvrir avec un couteau, de passer mes nerfs dessus, mais ça ne me rendra pas l’inspiration.
J’ai une exposition dans trois semaines et il me manque une toile, mais je ne parviens pas à la peindre. Je ne sais même pas ce que je veux faire, je n’ai aucune idée. Je reste encore un long moment à la contempler avant d’en avoir assez et de m’en détourner. Je sais pertinemment que je n’arriverai à rien si je reste là à tourner en rond, je ne vais parvenir qu’à m’énerver et à maudire cette traitresse de muse qui m’a laissé tomber. J’abandonne pour l’instant. Je prends ma veste en cuir dans l’entrée et mon portefeuille sur la console avant de sortir en claquant la porte derrière moi, même si le vide reste seul témoin de mon mouvement d’humeur. Je marche sans but précis, j’essaie simplement de m’aérer l’esprit. Il y a quatre jours que je n’ai pas mis le nez dehors. Ni pour prendre mon courrier, ni pour sortir les poubelles. Lola à l’étage du dessus, le fait pour moi, contre quinze billets la semaine. Ça nous arrange tous les deux. Je n’ai qu’à poser la poubelle sur mon palier et à récupérer le courrier qu’elle me monte et que je ne lis pas de toute façon. Arrivé en ville, je m’installe à une terrasse de café et j’observe les gens qui passent. J’essaie de deviner quelle est leur vie en ne me basant que sur leur image, leur façon de marcher, leur expression, leurs vêtements. Mais même pour ça, je ne suis pas inspiré. Mon esprit m’exaspère, chargé de banalités. J’ai perdu ma capacité d’imagination. Je soupire et déplore le mal de tête qui ne va pas tarder à arriver. Je sirote mon café tranquillement quand mon attention est attirée par un groupe de cinq personnes à quelques tables de là. Ce qui attire mon regard, ce sont les rires de ses amis. Ils sont le genre de personnes que l’on remarque, qui parlent et rient très fort. Le genre de personne à qui je jette un œil avant de m’en détourner. Mais ce qui retient mon regard, c’est lui. Ses amis s’avèrent être deux couples et lui, qui est juste un peu à l’écart, dans un t-shirt gris et un jeans foncé, une paire de lunettes de soleil noires accrochées dans son col. Il a la peau claire et des taches de rousseurs pour aller avec ses cheveux cuivrés. Il a les yeux infiniment bleus et il doit sentir mon regard parce qu’il les lève vers moi. Sur son avant-bras sont tatoués en noir deux petits mots : J’existe. C’est comme une affirmation, un besoin de reconnaissance. Regardez-moi, j’existe. Pourquoi personne ne me vois ? N’ai-je donc aucune importance ? Et je ressens un millier d’émotions. Ses amis se détachent les uns des autres et lui parlent, il leur répond avec un sourire mal à l’aise, comme s’il avait peur. L’une des filles le pousse vers un mec assis seul à la terrasse. Et lorsqu’il se décide à approcher comme à contrecœur. Il est assez proche pour que j’entende sa voix dire : « euh, salut… » C’est une voix timide, une voix qui s’attend au rejet. Le ton d’un jeune homme tellement habitué à être éclipsé par ses beaux amis brillants qu’il ne voit pas lui-même ce qu’il a à offrir. Je me dis que c’est ridicule, jusqu’à ce que le mec de la terrasse ne le scrute de la tête au pied avant de dire rudement qu’il n’est pas intéressé. Le rouquin hoche la tête, comme s’il s’y attendait. J’ai un hoquet indigné, qui attire le regard de l’autre mec sur moi. Ne voit-il vraiment pas la beauté qui lui fait face ? On aurait pu penser qu’il est hétéro, mais son t-shirt « proud » le dément. Je sens le regard de l’autre sur moi, mais je n’ai d’yeux que pour le rouquin. Il s’excuse à nouveau auprès du mec, comme si lui adresser la parole avait été une offense et se recule, tête basse. Ses amis échangent des regards mal à l’aise, presqu’inquiets. Et je pense à son tatouage : j’existe. Pourtant, j’ai l’impression qu’il voudrait disparaitre maintenant. Je ne sais pas ce qui me passe par la tête, mais je me lève et le suis, j’attrape sa main avant qu’il n’arrive à ses amis. Il pose sur moi des yeux hésitants qui semblent me demander ce que je veux, alors, je prends son visage en coupe et je l’embrasse sans préambule. Il est figé, tétanisé et j’entends ses amis retenir leur souffle. Mais quand ses mains viennent se serrer dans ma chemise noire et qu’il m’embrasse en retour, les filles se mettent à siffler et à rire. Ce baiser est une affirmation : oui, tu existes. Oui, je t’ai vu parmi tous ces gens. Ses lèvres ont la douceur du velours. Il embrasse comme il parle, avec fragilité, avec hésitation, dans l’attente d’être repoussé. Je souris malgré moi et me détache de lui. - Que… Il ne va pas plus loin. Je ne sais pas ce qu’il veut dire. Qu’est-ce qui vient de se passer ? Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais est que je n’ai pas le temps de rester pour le savoir parce que soudain, l’inspiration me submerge. J’ai besoin de peindre immédiatement. De peindre la flamme glacée de ses yeux et la douceur de ses lèvres. Quelque chose qui le représentera, parce que son visage est si proche que je ne me contente plus de le voir, je le ressens. Il n’est pas dans les critères des canons de beauté. Il a des taches de rousseurs, des yeux trop clairs, un nez retroussé, une bouche inégale, des pommettes trop saillantes qui pourraient lui donner des airs de fouine. Mais tout ça se marie avec une harmonie douce. Je le trouve magnifique. Comme une de ces toiles composées de tâches. Comme un chef d’œuvre obtenu au hasard. Je glisse dans sa main un flyer pour mon expo, qu’il prend en me fixant toujours, complètement éberlué. Je souris malgré moi. Je m’empare de sa main et je dépose mes lèvres sur son tatouage. - Bien sûr que tu existes, murmuré-je. Tu éclipses tout le reste. Il sourit comme il fait le reste, avec hésitation. Vulnérable, comme s’il n’était pas sûr d’y être autorisé. - A bientôt, soufflé-je avec un clin d’œil avant de m’en aller. Il ouvre la bouche, comme pour me retenir, mais il ne le fait pas. Ses yeux se baissent vers le flyer ou mon nom est imprimé en doré sur du noir et il sourit. Je sais alors que je le reverrai. Quand j’entre chez moi, je me constitue une palette de turquoises et de cuivres avant de me laisser emporter, son image présente à l’esprit. ----- Celle qui n’aimait pas d’amour -----
Dis-moi, crois-tu qu’un jour, tu aimeras d’amour ? Je ne sais pas mon ami et je ne m’en soucie guère. Je suis amitié et le serai toujours. Et si un jour l’amour, tu recroises en chemin, je serai encore là. Juste à portée de main. Je sourirai encore devant ton bonheur, je pardonnerai encore une fois tes erreurs. Même si tu m’oublies pendant quelques moments, je resterai, attendant. Et si l’amour s’en va, je comblerai le vide, ramasserai encore les morceaux de ton cœur et te tiendrai encore pour effacer tes pleurs. Tu le sais maintenant. L’amitié te retrouve, là où l’amour t’égare. Elle te ramène parfois à ton point de départ pour te reconstruire et aimer à nouveau. Mais toi, n’aimes-tu donc jamais ? Je n’aime jamais d’amour, mais j’aime d’amitié. J’aime dans ma loyauté et j’aime dans ma force. Si l’Amour n’a pas de prise sur moi, j’aime pourtant plus fort et avec plus de constance qu’une éphémère romance, une brulante passion. Moi, j’aime plus calmement. J’aime presque en silence, je ne suis qu’un murmure. Une épaule pour pleurer, des bras pour réconforter, des mots pour apaiser. Quand un cœur s’embrase et que l’amour hurle, on ne m’entend plus et parfois, on m’oublie. Mais quand l’amour s’en va, ne laissant que le vide, on tend alors l’oreille et je ne suis pas loin. Ton cœur dit : « Je suis seul ». Et je lui réponds : « Non, l’ami, tu ne l’es pas. Tu ne l’as jamais été. » L’apocalypse est là !
Les allumés ont envahi le monde et remplacent peu à peu les humains. Je me souviens encore du temps où il suffisait, pour fuir le monde, de quitter sa maison et de marcher un peu. On ne nous retrouvait que si on le voulait. Ce temps n’est pas si loin, mais il est révolu. La liberté s’éteint au profit de l’Avancée. On nous joint nuit et jour, où que l’on soit, quoi que l’on fasse. On est toujours reliés d’une façon ou d’une autre. Je leur ai pourtant dit « je n’aime pas les portables » et qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils m’en ont acheté un ! La logique se perd elle aussi, j’en ai peur. Et en plus ils m’engueulent ces foutus allumés ! « Pourquoi tu n’as jamais ton téléphone Papy ? On te fait un cadeau et tu ne t’en sers pas. » Mais merde, je n’en voulais pas moi de leur foutue machine ! J’aime mes petits-enfants, mais ils sont cons, vraiment. Même pour des choses simples, ils ne semblent pas parler le même langage que moi. J’ai toujours acheté mon pain chez Véro, mais non, eux, ils veulent que je le prenne au supermarché pour économiser quinze cents. Ils veulent que Véro mette la clé sous la porte ou quoi ? « - Pourquoi je ferais ça ? Leur pain, il est dégueulasse ! - Oh Papy… t’es qu’un vieux ronchon ! - C’est mieux que d’être un allumé. » Que voulez-vous ? Les allumés sont une espèce à part. Mais heureusement, dans le village, Maurice et moi, on résiste à l’envahisseur ! On boit toujours du rouge, pas de rosé pamplemousse. On regarde France3 et on lit de vrais livres. On cherche des réponses dans les dictionnaires et pas sur Gogole. On écoute la radio sans être en voiture. On laisse les téléphones à la maison. Je crois même que Maurice a un magnétoscope. C’est un vrai rebelle ! Quand on se rejoint le dimanche pour pêcher près du lac et qu’on voit passer des gens qui ne regardent pas le paysage en marchant, fixant leur écran pour envoyer des textos ou commenter leurs vies sur FesseBouc, Maurice et moi on se marre. Ils ne sont vraiment pas discrets les allumés. « Ils ne nous auront jamais ! » me lance mon camarade résistant. « Jamais ! » je confirme en acceptant la bière qu’il me tend. S’il est un homme que j’admire, c’est sans doute toi mon Esteban. Toi, et tes mille conquêtes dont je ne suis pas. Toutes ces femmes, plus belles les unes que les autres, leurs corps souples et leurs chevelures d’or ou d’ébène. Toutes ces femmes, tu les aimes, tu les vénères et éveille en elles le divin. Elles se font déesses sous tes mains. Et je ne suis pas l’une d’elles, mais je sais que tu les adores comme jamais un autre avant toi, et peut-être comme jamais un autre après.
Et qu’importe si ce n’est qu’une nuit, car sous tes ferventes attentions, tu leur offres la douceur, l’amour, la passion. Elles sortent de tes draps, rayonnantes et satisfaites, et qu’importe si ça ne dure pas. S’il est un homme que je plains, c’est sans doute toi mon Esteban. Toi et tes mille matins de solitude. Tous ces cœurs que tu collectes mais qui ne sont jamais aussi vides que le tien. Tu as toujours mal mon vieil ami car tu ne sais aimer au-delà du jour. Tu le voudrais pourtant et je le sais. Les femmes passent dans ta vie, comme passent les années et tu désespères chaque jour un peu plus de les voir défiler. Mais je ne suis pas l’une de ces femmes et nous ne nous aimerons jamais, pourtant je retiens dans mes mains les morceaux de ton cœur brisé. Le territoire sous tes draps me restera inconnu, mais j’en connais plus de toi qu’aucune de tes ingénues. S’il est un homme que je protège, c’est sans doute toi mon Esteban, pour qui j’ai transformé l’amour en amitié. Car je savais qu’à t’aimer, je ne pourrais nous préserver. Mon ami, je suis la gardienne de nos deux pauvres cœurs brisés. La nuit est jeune quand je m’éveille.
Comme tout enfant des ténèbres, je ne vis bien que sous la lune. N’allez pas voir en moi un être vampirique, l’idée du sang me rebute. Non, je suis bien humain… J’aimerais avoir un secret surnaturel à dissimuler, mais ce n’est pas le cas. Autour de moi, tout est dessiné d’ombres, mais je connais assez mon appartement pour ne pas avoir besoin de lumière. L’odeur ambiante est chargée d’alcool, le verre vide qui trône encore sur la table est un vieux compagnon. Je déambule à travers la chambre et le salon, je ne sais même pas où je vais. La cuisine parait être une bonne idée. J’y entre en titubant, je suis encore intoxiqué et mes réflexions s’en ressentent. J’allume la lumière, et cligne plusieurs fois des yeux sous l’agression. La pièce qui m’accueille est glacée. Il n’y fait pas vraiment froid, mais l’ambiance manque de chaleur. Tout est chromé et on pourrait voir au premier coup d’œil que je ne cuisine jamais ici. Il y a un siècle que je ne cuisine plus, j’ai horreur de ça. J’appuie sur le bouton magique qui me servira bientôt un café amer et chaud. C’est exactement ce qu’il me faut. La tasse noire se remplit doucement et je retourne dans le salon pour échapper au bruit de la cafetière qui résonne comme un marteau piqueur sous mon crâne. La vue depuis la fenêtre du salon est décevante. Si la nuit, tous les chats sont gris, eh bien les toits de Paris aussi. Un coup d’œil à l’immeuble d’en face me prouve que je suis le seul à être éveillé. D’habitude, mon voisin et moi nous croisons à la fenêtre, mais pas cette nuit. On ne se connait pas vraiment, on ne s’est jamais parlé, mais il est ce qui se rapproche le plus d’un ami pour moi. Dans le sens où je ne suis pas forcé de passer du temps en sa compagnie, mais j’aime les instants où il est à sa fenêtre, fumant sa pipe et moi, à la mienne avec une clope. Souvent, je lève ma cigarette dans sa direction comme pour trinquer et il me rend mon geste du bout de sa pipe avec un sourire. On m’a dit qu’il était scénariste : « Bon sang, David ! Mais c’est Teddikus ! »… Comme si c’était supposé me dire quelque chose. Ça ne m’évoque rien, sinon l’homme d’en face qui fume sa pipe en m’observant quelques fois. Je ne sais pas pourquoi il me regarde. Je ne fais que fumer et me perdre dans le peu d’étoiles qu’il m’est donné de voir. Mais je suis auteur, et en tant que tel, je sais que les esprits comme les nôtres se fascinent parfois de pas grand-chose. Un jour, en phase de création, je devais préparer des personnages, mais l’inspiration me fuyait. C’était du déjà-vu, déjà fait. Alors, je me suis rendu à un arrêt de bus et j’y suis resté une matinée. Simplement pour regarder les gens monter et descendre. J’observais les « pressés » qui jouaient les importants, ceux qui trainaient des pieds, fatigués d’avance et ceux qui couraient partout comme des poulets sans tête. J’y suis resté de longues heures, simple spectateur d’une scène humaine proprement fascinante. Étourdissante de banalité pour tous ces gens, mais une mine d’or pour mon esprit assoiffé. Puis, je suis rentré et j’ai écrit sans m’arrêter pendant des heures. J’ai laissé sonner le téléphone, je n’ai pas ouvert à ma mère… j’étais, comme parfois, emprisonné dans mon propre monde, dans ma propre tête. C’est le prix à payer pour ceux d’entre nous qui ne sont pas artistes, juste fous. J’ai envie de le dire quelquefois, quand on me demande comment je peux créer des histoires si vivantes. J’aimerais voir leurs mines si je répondais : «c’est parce que je suis fou, ils vivent dans ma tête. » Ça vaudrait certainement le détour. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que Teddikus soit fou. Mais il trouve peut-être de l’inspiration en me regardant. Peut-être écrit-il un scénario portant sur un fantôme, qui vit seul et ressasse sa peine, jour après jour. Peut-être l’histoire d’un monstre qui ne sort que la nuit. On ne le voit pas de jour. Ou peut-être l’histoire d’un auteur alcoolique qui a perdu l’amour de sa vie et se complait depuis dans la solitude. Un homme qui n’a pour ami que le voisin d’en face à qui il n’a jamais parlé et ne sait plus communiquer avec les gens qui le connaissaient avant qu’il ne tombe au fond du trou… Mais je ne pense pas que ce scénario intéresserait grand monde. Un jour, j’enverrai peut-être un avion en papier à sa fenêtre pour lui dire de ne pas écrire cette histoire-là. Quand je t'ai vu pour la première fois, ça m'a fait l'effet de retrouver quelque-chose que je ne savais même pas avoir perdu. Le vendredi était à la fois le jour préféré d'Isaac et celui qu'il exécrait par-dessus tout. Les heures, qui promettaient le repos bien mérité du week-end, semblaient s'étirer à l'infini. Il lança un regard à l'horloge qui n'affichait que onze heures et soupira lourdement. Jetant un regard à sa collègue, il lui demanda de tenir la caisse pendant qu'il allait ranger les livres dans les allées de la librairie dans laquelle il travaillait. Il récupéra les bouquins laissés par des clients sur les différentes tablettes et entreprit de les remettre à leur place d'origine. Au moins, ainsi, il avait l'impression de faire quelque chose, et le temps passait plus rapidement que lorsqu'il devait se tenir derrière le comptoir à attendre d'encaisser un client. Avec l'horloge dans son champ de vision, il ne faisait que regarder les minutes passer trop lentement. Il récupéra un recueil d'Emily Dickinson et prit une minute pour lire un poème avant de remettre l'ouvrage sur son étagère. Puis il continua, s'étonnant encore, après tout ce temps, que les gens n'aient pas pour réflexe de reposer un livre où ils l'avaient trouvé. Au moins cela lui faisait un peu de distraction. Il était perché sur son escabeau à ranger des guides dans la section tourisme lorsqu'il fut interrompu par une voix grave et mélodieuse qui provenait du sol. — Excusez-moi, j'aimerais savoir si vous aviez un guide plus complet de l'Écosse. Je ne pense pas pouvoir m'y retrouver avec ces informations une fois seul là-bas. Isaac suspendit son geste, il dut se retenir à l'étagère pour ne pas tomber de l'escabeau et une fois stable, se retourna. Derrière lui se tenait un jeune homme à la mine un peu rêveuse, ses cheveux bruns semblaient se battre dans un coiffé/décoiffé étudié. Il avait un visage carré, masculin et pourtant légèrement enfantin. Ses yeux gris en amande étaient relevés vers Isaac et l'interrogeaient. Son style faisait penser à celui qu'aurait pu arborer un artiste en vogue. À la fois chic et décontracté. Un manteau noir ajusté, une écharpe grise assortie à ses yeux. Isaac dut faire un effort surhumain pour ne pas lâcher le livre qu'il tenait dans sa main. Quelque chose en lui se réchauffa, il se sentit bêtement content sous le regard gris de l'inconnu. Comme si un vieil ami venait lui faire une bonne surprise. Pourtant, il n'avait jamais vu cet homme de sa vie. Il descendit de son escabeau, arrivant devant l'inconnu, plus près que ce qu'il avait imaginé. Il recula d'un pas, avec un sourire d'excuse, mais ne put s'empêcher de remarquer le parfum doux de l'autre homme, qui lui fit penser au bord de mer et au sable chaud... Il divaguait. L'autre lui présenta le livre avec un sourire amusé. Isaac s'en saisit et pouffa en voyant le guide. — Vous n'auriez pas pu choisir pire, dit-il en tapotant la couverture. — Mais il était en tête de gondole, répondit l'homme avec une moue presque indignée. Isaac tenta de passer outre le fait que cette moue se révélait dangereusement charmante. Il s'empêcha de jeter un regard à la bouche lisse et pâle… Bon juste un petit regard alors. Avant de faire signe à son client de le suivre au bout de l'allée. — Alors, avant de choisir un guide, je dois demander : vous vous rendez en Écosse pour le travail ou pour visiter ? — J'y vais pour le travail principalement, mais je compte en profiter pour visiter, rencontrer des écossais… — Je suis écossais, répondit Isaac avant de se demander pourquoi il venait de balancer ça. Bon, d'accord, il était effectivement écossais, mais ça, l'inconnu s'en moquait. — Et vous vous proposez comme guide ? s'amusa l'autre alors qu'Isaac faisait mine de chercher un livre pour cacher le rosissement de ses joues. Il trouva rapidement le guide qu'il cherchait, mais ne le sortit pas immédiatement, se donnant le temps de se mettre encore une claque mentale avant de présenter le livre à l'inconnu. — Je doute de tenir dans votre valise, plaisanta-t-il en le lui tendant. Le jeune homme rit doucement, avant d'ouvrir la page du sommaire, il tourna ensuite quelques pages, puis il accorda un sourire éblouissant à Isaac qui en vint à se demander ce qui n'allait pas avec son rythme cardiaque, il commençait à avoir de sérieuses palpitations. — C'est parfait, merci pour votre aide. Isaac se contenta de hocher la tête pour signifier qu'il n'y avait pas de quoi. Puis il le regarda s'éloigner vers la caisse en cherchant désespérément une raison de le retenir. Juste encore un peu. Il ne voulait pas qu'il s'en aille. Mais, il ne savait vraiment pas quelle raison il pourrait avoir de le retenir. Il se détourna, revenant à son rangement quand il entendit à nouveau la voix de l'étranger. — Et en tant qu'écossais, vous auriez un conseil à me donner ? Il se retourna pour voir que le jeune homme était arrêté, ses yeux lançant un regard amusé à Isaac. Ce dernier lui sourit franchement avant d'ajouter d'un ton sérieux : — Ne mangez surtout pas de haggis et je pense que vous survivrez. L'autre rit à nouveau, un son musical et léger. Isaac l'accompagna. Puis ils échangèrent un dernier regard avant que l'inconnu ne hoche la tête. Je m'en souviendrai, souffla-t-il. Merci encore. — Je vous en prie. Au revoir. Et cette fois, il partit vraiment. Quand je t'ai vu pour la seconde fois, ce fut comme de récupérer enfin quelque-chose que je savais manquant. Isaac venait de finir sa journée à la librairie, il entra dans le Starbucks adjacent et soupira lourdement en voyant la file qui y était déjà présente. S'il n'était pas aussi accro à leur Macchiato caramel, il aurait fait demi-tour immédiatement. Cependant, il avait essayé de reproduire la boisson chez lui et elle n'atteignait jamais le goût de paradis qu'avait la leur. Il jeta un regard à sa montre et se résigna, se plaçant dans la file. Cinq longues minutes passèrent, mais cela ne semblait pas avancer. Isaac considérait le fait de partir, quand il entendit une voix à son oreille. — J'ai survécu au haggis. Un sourire étira doucement ses lèvres, alors qu'il fermait les yeux une seconde. Son cœur venait de rater un battement. Il se retourna, mais il savait déjà qu'il s'agissait de son inconnu. Quand ses yeux se posèrent sur le visage charmant qui lui souriait, Isaac eut l'effet d'un envol de papillon au creux de son estomac. Il avait souvent repensé à ce regard gris, à ces cheveux, à cette voix. À lui. — Vous n'avez donc pas écouté mes conseils ? demanda-t-il d'un ton faussement réprobateur. — On m'y a forcé, rétorqua l'autre d'un air dramatique. Isaac pouffa en secouant la tête, puis le silence revint entre eux. Les yeux gris restaient fixés sur son visage, comme appréciant de l'avoir fait rire. — Je m'appelle Ambrose, se présenta le jeune homme. — Isaac. Ils échangèrent un sourire et une poignée de main de circonstance, puis Isaac se racla la gorge avant de parler. — Comment s'est passé votre voyage ? — Étonnamment bien, si on oublie le fait qu'une chèvre ait mangé un bout de mon manteau, répondit Ambrose d'un ton tout à fait sérieux. Isaac resta muet une seconde avant d'éclater franchement de rire. — Ce n'est pas drôle, le réprimanda l'autre bien qu'il sourît lui aussi. On ne m'avait pas mis en garde contre ça dans votre guide. — Il faudra qu'on pense à ajouter une section, pouffa Isaac. — C'est une idée. Le silence qui suivit fut étrangement confortable. Les deux hommes souriaient toujours. Ils échangèrent quelques anecdotes sur l'Écosse et Isaac fut sincèrement surpris lorsqu'il se rendit compte que son tour était venu de passer commande. Il aurait pu discuter avec Ambrose pendant des heures sans se lasser. Il commanda son macchiato et en profita pour demander à son voisin de ligne ce qu'il prenait. Isaac paya leurs commandes et les deux hommes sortirent en même temps. Le moment de se séparer étant venu, Isaac fixa sa tasse en carton un instant, cherchant à nouveau comment retenir Ambrose. Mais pas plus que la fois précédente, il ne trouva de sujet susceptible de le garder un peu plus longtemps auprès de lui. — Je pars bientôt en Norvège, offrit l'autre jeune homme après un instant. Vous avez des guides sur le sujet ? — Bien sûr, répondit Isaac, mais j'ai peur qu'ils ne préviennent pas les attaques d'élans qui pourraient manger vos chaussures. Ambrose éclata de rire, puis lui assura qu'il ferait avec et qu'il passerait à la librairie dans la semaine. Isaac le salua et prit la route de son appartement, simplement heureux de l'avoir revu et de savoir qu'il le verrait à nouveau bientôt. Et puis vint la troisième fois, où je savais regagner quelque-chose qui m'était devenu important. La semaine débuta sur les chapeaux de roues.
La La Saint-Valentin n'était plus qu'à quelques jours et les acheteurs se bousculaient. Prenant pour la plupart des livres de poésie en pensant être originaux. Isaac commençait à ressentir un tiraillement dans ses cervicales à force de tourner la tête dès que la cloche de l'entrée se faisait entendre, espérant voir apparaître une masse de cheveux brune, des yeux gris et un sourire à tomber. Le jeudi matin arriva et Ambrose n'était toujours pas passé. Isaac fut reconnaissant au monde qui se succédaient, l'empêchant d'avoir le temps de penser. C'était plus fort que lui. Ambrose occupait ses pensées bien plus souvent qu'il ne voulait se l'avouer. Mais ce jeudi, jour de la la Saint-Valentin, il était trop occupé avec les ventes et le remplacement du stock de cartes en cœur que le magasin offrait à ses clients. Il faisait des voyages constants pour remplir les bacs. Ce fut en début d'après-midi, alors qu'il revenait de pause, qu'il aperçut Ambrose assis à une des tables, occupé à remplir une carte. Il sentit son cœur flancher, un espoir fou naissant en lui et faisant battre son cœur à coups redoublés. Était-ce pour lui ? Il avait ressenti un courant passer entre eux. Pour être tout à fait honnête, c'était plus que cela. Une vague déferlante l'avait soufflé la première fois qu'Ambrose lui avait souri. Mais est-ce que l'autre jeune homme l'avait ressenti lui aussi ? — Isaac ! l'appela le directeur en sortant la tête de son bureau. En entendant son nom, Ambrose releva la tête de sa carte pour croiser le regard noisette d'Isaac posé sur lui. Il lui accorda un sourire franc. Isaac lui rendit la pareille avant de pointer le bureau de son directeur du pouce, pour lui indiquer qu'il devait y aller. Ambrose le regarda partir et reporta son attention sur sa carte de Saint Valentin. Son directeur souhaitait lui parler d'une soirée de dédicaces qui devait avoir lieu quelques semaines plus tard. Isaac n'avait jamais vu son supérieur aussi stressé par un événement. Il voulait que tout soit absolument parfait pour recevoir l'auteur qui viendrait signer sa dernière œuvre. Il ne comprenait pas pourquoi son directeur paniquait, ils avaient déjà reçu Marcus Silver pour son dernier livre et c'était un homme plus que charmant. Tout se passerait très bien. Quand Isaac revint finalement dans la librairie, il voulut aller saluer Ambrose, mais le jeune homme n'était plus à sa table. Le regard d'Isaac scruta alentour et il sourit en voyant Ambrose rire à la caisse. Son rire était magnifique. Isaac fit un pas vers lui dans l'intention de s'intégrer à la conversation que le beau brun avait avec sa collègue Kelly, mais il se figea en voyant l'homme qui avait occupé ses pensées si souvent, celui qui affolait son cœur, tendre la carte qu'il avait écrite à Kelly. Isaac resta figé. Il avait mal. Il n'aurait su dire où exactement, il n'était pas blessé, mais la douleur le prenait tout entier. Oh, elle irradiait de son cœur. Il l'avait imaginé ce lien. Il aurait certainement dû prétendre que tout allait bien et aller saluer le jeune homme, comme il l'aurait fait habituellement. Cependant, lorsqu'Ambrose le remarqua et qu'il lui sourit à nouveau, Isaac fit demi-tour et partit se réfugier dans le premier rayon vide qu'il trouva. S'appuyant à l'une des étagères, il baissa la tête et respira à fond pour s'empêcher de pleurer. Bon sang, c'était complètement stupide. Il n'avait vu Ambrose que trois fois. Ce mec ne lui devait rien. Kelly était très belle – cette pétasse ! Non ! Merde, mais il aimait beaucoup Kelly ! Qu'est-ce qui lui prenait à la fin ? Isaac sentit le parfum arriver avant même d'entendre la voix d'Ambrose dans son dos. Sa voix tellement douce et mélodieuse qu'il n'avait pas envie d'entendre maintenant. Et pourtant si. Il ne savait plus où il en était. — Isaac ? Ça ne va pas ? — Si, répondit-il doucement. Il n'avait qu'une envie c'était d'envoyer chier Ambrose pour qu'il s'en aille, parce qu'il sentait une larme qui lui échappait. — Tu pleures ? Lui demanda le jeune homme d'une voix inquiète sans se rendre compte qu'il venait de le tutoyer pour la première fois. Isaac aurait bien répondu « non », mais Ambrose prit son épaule et le força à se tourner vers lui. Les yeux noisette se baissèrent pour ne pas croiser le regard gris et inquiet qui le scrutait. Il sentait la chaleur de la main d'Ambrose qui n'avait pas quitté son épaule, il sentit ses doigts fins s'y presser dans un geste de réconfort. — Est-ce que tu t'es fait virer ? lui demanda gentiment Ambrose et essayant de capter son regard. Tu semblais aller bien avant, mais depuis que tu es sorti du bureau, tu as l'air bouleversé. Isaac eut un rire sans joie. Oui, ça c'était une bonne raison de pleurer. Mais ses raisons à lui étaient bien plus stupides. — Non, je n'ai pas été renvoyé, je... Tu vas rire, dit-il comme si ça n'avait pas d'importance. C'est juste que je croyais que... Toi et moi... Je suis complètement con, désolé. Échappant à la prise douce d'Ambrose sur son épaule, Isaac baissa à nouveau la tête et sortit du rayon, mais une main se referma sur son bras pour le tirer à nouveau dans l'allée. — Tu croyais, quoi ? demanda Ambrose qui avait presque l'air en colère. Isaac croisa le regard du beau brun, avant de sourire tristement en soufflant : — Je croyais qu'on avait quelque-chose. Je... pensais que tu flirtais avec moi. Il sentit sa gorge se serrer. Ambrose le regarda, interdit. Isaac baissa les yeux une fois de plus. Il était vraiment stupide. Il allait se dégager à nouveau quand il sentit une main douce se poser sur sa joue. Les longs doigts caressèrent sa pommette jusqu'à ce qu'il relève les yeux pour voir Ambrose le fixer avec ce qui semblait être une tendresse vaguement amusée. Le jeune homme se pencha en avant pour souffler doucement à son oreille : — Je flirtais avec toi. Outrageusement. Isaac eut à peine le temps d'enregistrer cette information avant que des lèvres chaudes ne viennent prendre possession des siennes, faisant oublier par leur douceur le moindre doute qui aurait pu rester. Isaac attrapa doucement les avant-bras d'Ambrose et s'y cramponna pour s'assurer qu'il était réel. Juste pour être sûr. Le baiser qu'ils échangèrent ne fit que confirmer cette impression d'appartenance qu'il avait ressentie dès la première fois où il avait posé les yeux sur Ambrose. Il était fait pour le rencontrer, c'était dans l'ordre de l'univers. Leur second baiser fut interrompu par un client qui passait. Les deux jeunes hommes échangèrent un regard gêné avant de se mettre à rire. — Tu accepterais de dîner avec moi ce soir ? demanda Ambrose en le fixant dans les yeux. Isaac ne put que hocher la tête, captivé par la beauté du jeune homme qui se tenait en face de lui. — A ce soir alors, je passe te prendre ici à la fermeture. Isaac hocha encore la tête, ce qui fit sourire Ambrose. — Tu as perdu ta langue ? s'amusa-t-il. — Et la tête, lui répondit immédiatement Isaac. Ils rirent à nouveau, puis échangèrent un baiser rapide avant qu'Ambrose ne parte. Isaac attendit une minute avant de sortir à son tour de l'allée et de retourner à la caisse. Kelly grogna que ce n'était pas le bon jour pour tirer au flanc avant de lui lancer un regard amusé, signifiant qu'elle savait très bien à quoi il avait occupé son temps. Lorsqu'il passa derrière la caisse, il l'entendit souffler : — Mets un peu d'ordre dans tes cheveux. Il suivit son conseil d'un geste machinal, rougissant légèrement. Un instant plus tard, Kelly parvint à se libérer juste assez longtemps pour lui glisser une carte. Celle d'Ambrose, devina-t-il. — Je l'ai lue, l'informa-t-elle avec un sourire. Isaac lui lança un regard réprobateur pour la forme, puis il saisit la carte et la lut. Prends-moi pour un fou, mais quand je t'ai vu pour la première fois, ça m'a fait l'effet de retrouver quelque-chose que je ne savais même pas avoir perdu. Quelque-chose que je voudrais avoir une chance de garder près de moi. Quelque-chose qui occupe mes pensées depuis. Tu me laisserais une chance ? Be mine, Isaac. Isaac se mit à rire, se sentant bêtement ému, simplement heureux. Il jeta un regard à l'entrée où il vit Ambrose qui le fixait avec un sourire aux lèvres et il hocha la tête. Oui, il serait sien. Il l'était depuis que sa voix avait failli le faire tomber de son escabeau, la première fois. |
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