La nuit est jeune quand je m’éveille.
Comme tout enfant des ténèbres, je ne vis bien que sous la lune. N’allez pas voir en moi un être vampirique, l’idée du sang me rebute. Non, je suis bien humain… J’aimerais avoir un secret surnaturel à dissimuler, mais ce n’est pas le cas. Autour de moi, tout est dessiné d’ombres, mais je connais assez mon appartement pour ne pas avoir besoin de lumière. L’odeur ambiante est chargée d’alcool, le verre vide qui trône encore sur la table est un vieux compagnon. Je déambule à travers la chambre et le salon, je ne sais même pas où je vais. La cuisine parait être une bonne idée. J’y entre en titubant, je suis encore intoxiqué et mes réflexions s’en ressentent. J’allume la lumière, et cligne plusieurs fois des yeux sous l’agression. La pièce qui m’accueille est glacée. Il n’y fait pas vraiment froid, mais l’ambiance manque de chaleur. Tout est chromé et on pourrait voir au premier coup d’œil que je ne cuisine jamais ici. Il y a un siècle que je ne cuisine plus, j’ai horreur de ça. J’appuie sur le bouton magique qui me servira bientôt un café amer et chaud. C’est exactement ce qu’il me faut. La tasse noire se remplit doucement et je retourne dans le salon pour échapper au bruit de la cafetière qui résonne comme un marteau piqueur sous mon crâne. La vue depuis la fenêtre du salon est décevante. Si la nuit, tous les chats sont gris, eh bien les toits de Paris aussi. Un coup d’œil à l’immeuble d’en face me prouve que je suis le seul à être éveillé. D’habitude, mon voisin et moi nous croisons à la fenêtre, mais pas cette nuit. On ne se connait pas vraiment, on ne s’est jamais parlé, mais il est ce qui se rapproche le plus d’un ami pour moi. Dans le sens où je ne suis pas forcé de passer du temps en sa compagnie, mais j’aime les instants où il est à sa fenêtre, fumant sa pipe et moi, à la mienne avec une clope. Souvent, je lève ma cigarette dans sa direction comme pour trinquer et il me rend mon geste du bout de sa pipe avec un sourire. On m’a dit qu’il était scénariste : « Bon sang, David ! Mais c’est Teddikus ! »… Comme si c’était supposé me dire quelque chose. Ça ne m’évoque rien, sinon l’homme d’en face qui fume sa pipe en m’observant quelques fois. Je ne sais pas pourquoi il me regarde. Je ne fais que fumer et me perdre dans le peu d’étoiles qu’il m’est donné de voir. Mais je suis auteur, et en tant que tel, je sais que les esprits comme les nôtres se fascinent parfois de pas grand-chose. Un jour, en phase de création, je devais préparer des personnages, mais l’inspiration me fuyait. C’était du déjà-vu, déjà fait. Alors, je me suis rendu à un arrêt de bus et j’y suis resté une matinée. Simplement pour regarder les gens monter et descendre. J’observais les « pressés » qui jouaient les importants, ceux qui trainaient des pieds, fatigués d’avance et ceux qui couraient partout comme des poulets sans tête. J’y suis resté de longues heures, simple spectateur d’une scène humaine proprement fascinante. Étourdissante de banalité pour tous ces gens, mais une mine d’or pour mon esprit assoiffé. Puis, je suis rentré et j’ai écrit sans m’arrêter pendant des heures. J’ai laissé sonner le téléphone, je n’ai pas ouvert à ma mère… j’étais, comme parfois, emprisonné dans mon propre monde, dans ma propre tête. C’est le prix à payer pour ceux d’entre nous qui ne sont pas artistes, juste fous. J’ai envie de le dire quelquefois, quand on me demande comment je peux créer des histoires si vivantes. J’aimerais voir leurs mines si je répondais : «c’est parce que je suis fou, ils vivent dans ma tête. » Ça vaudrait certainement le détour. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que Teddikus soit fou. Mais il trouve peut-être de l’inspiration en me regardant. Peut-être écrit-il un scénario portant sur un fantôme, qui vit seul et ressasse sa peine, jour après jour. Peut-être l’histoire d’un monstre qui ne sort que la nuit. On ne le voit pas de jour. Ou peut-être l’histoire d’un auteur alcoolique qui a perdu l’amour de sa vie et se complait depuis dans la solitude. Un homme qui n’a pour ami que le voisin d’en face à qui il n’a jamais parlé et ne sait plus communiquer avec les gens qui le connaissaient avant qu’il ne tombe au fond du trou… Mais je ne pense pas que ce scénario intéresserait grand monde. Un jour, j’enverrai peut-être un avion en papier à sa fenêtre pour lui dire de ne pas écrire cette histoire-là.
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Avril 2020
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