1 - Adaptation Il est dix-huit heures quand je me lève. Je suis un démon depuis deux jours et mon corps semble être adapté au rythme noctambule. Je descends les marches et repère Jesse, déjà assis dans la cuisine de notre duplex, un verre de liquide ambré à la main.
- Sérieusement ? Tu bois du whisky au petit-dèj ? Il hausse ses épaules, les muscles roulent sous sa peau dorée. Ses cheveux bruns coincés derrière ses oreilles et ses yeux d’une couleur indéfinissable, quelque part entre le vert et le noisette, me disent qu’il vient de se lever lui aussi. Il est magnifique ce crétin et depuis qu’on a hérité de nos nouveaux corps, il passe son temps à moitié nu. - Pour l’effet que ça me fait, répond-t-il, ça pourrait aussi bien être du jus de pomme. - Mais avec un goût plus dégueulasse. - On s’y fait. Je suis en train de faire bouillir de l’eau pour le thé quand il prend la parole. Je l’entends avaler bruyamment avant de parler. - Adriana a déposé ça pour toi. D’un geste du doigt, il désigne un sac à vêtement noir qui contient certainement un costume. Je hoche la tête en remerciement et remarque qu’il a la bouche pleine. - Qu’est-ce que tu manges ? demandé-je avec une mine dégoutée. - Du bœuf séché. - Au petit-déjeuner, Jesse ? - J’ai faim ! contre-t-il. Et pis, tu m’as vu ? Je peux bouffer ce que je veux. Il se lève et désigne ses tablettes de chocolat impressionnantes pour faire bonne mesure. J’ai la soudaine envie de soulever mon t-shirt pour comparer avec les miennes. Je secoue la tête et reviens à ma bouilloire qui siffle. - Comment s’est passé ta première nuit en ville ? demandé-je quand je m’installe face à lui avec ma tasse de thé fumante. - Génial ! T’aurais vu ça, je suis entré dans le club et personne ne pouvait me lâcher des yeux. Nora bavait littéralement devant moi. Nora, comme il me l’a expliqué est une strip-teaseuse dont il était tombé amoureux. Elle s’est foutue de lui à l’époque et lui a extorqué de l’argent avant de le jeter comme un malpropre. Il y a ce truc chez Jesse qui rend tellement simple d’abuser de lui. Il a une naïveté presque stupide. Il n’a rien d’un gosse, encore moins depuis qu’il a son nouveau corps, mais il a la mentalité d’un gentil garçon de la campagne, alors forcément, il ne voit pas quand les gens se foutent de lui. Mais quelque chose me dit qu’ils auront moins tendance à le faire maintenant. C’est assez triste comme constat, mais c’est vrai, on a moins d’emmerdes quand on est beau. - Donc, tu as conclu le deal ? - Plutôt deux fois qu’une. Il me fait un clin d’œil et je fais mine de gerber dans ma tasse. Au moins, ça a le mérite de le faire rire. - Nous superpouvoirs sont carrément plus cool que ceux de superman. Je lève les yeux au ciel au terme superpouvoir. Il se prend pour un Avenger ou je ne sais quoi. Hier, il s’est amusé à soulever le canapé tout seul pour mesurer notre force et quand il a compris qu’il pouvait le garder au-dessus de sa tête avec une seule main, il a couru dans tout l’appartement à ma recherche pour me montrer l’exploit. Je n’arrive pas vraiment à le détester, même s’il m’a tué. Il me fait penser à un chiot géant sous stéroïdes. Adorable au point qu’on ne peut pas lui en vouloir même s’il pisse dans vos chaussures. - Et toi, qu’est-ce que tu as fait hier soir ? - Je suis resté là. - A te branler ? déduit-il immédiatement. T’as plus besoin de faire ça, tu sais. Mais je comprends, moi aussi quand j’ai vu la queue que m’a donné Adriana, j’étais genre ouah, elle a pas lésiné sur la marchandise et… - Arrête de parler de ta queue ! grogné-je en me frottant le visage d’une main dure. Et j’avais juste besoin de m’habituer c’est tout. Oui, j’ai passé pas mal de temps ces derniers jours à me regarder dans le miroir pour me faire à ma nouvelle apparence. Je sais que je dois sortir pour finaliser le deal. Je dois retrouver Sienna. Mais le fait est que se déplacer dans un corps qui mesure plus d’un mètre quatre-vingt-dix, ce n’est pas la même chose que dans un corps d’un mètre soixante-quinze. J’ai passé plus de deux heures à m’examiner sous toutes les coutures. J’ai la peau mate maintenant, comme si j’avais passé des heures à poil au soleil, mes yeux ont changé et sont passés d’un vert banal à un vert clair avec une couronne dorée autour de la pupille. J’ai le nez droit et la ligne de ma mâchoire est bien dessinée. Mon reflet dans le miroir m’a fait penser à une pub Colgate quand j’ai souri. Mes cheveux sont brillants, bruns avec des reflets cuivrés. Alors, je suis resté comme un con à regarder la forme et à tâter les muscles. Et oui, peut-être que je me suis effectivement branlé sous une douche brûlante, mais je ne compte pas en débattre avec Jesse. Le truc, c’est que je suis excité, c’est comme un courant sous ma peau. L’envie de sexe qui ne me lâche pas, c’est comme une faim incontrôlable. Peut-être est-ce le cas. Je suis un Incube maintenant. - T’as remarqué notre manque de pilosité ? - Ta gueule Jesse ! - Oh, ça va, grogne-t-il. T’es pas du matin, ou t’es toujours un connard ? Attends, c’est ton deuxième prénom ? Lane Connard Jones ? - Non, en fait c’est mon premier prénom, le Connard vient avant le reste. - Ah ben, je t’appellerai Connard à l’avenir. - Fais-toi plaisir. On finit le petit-déjeuner en silence. Je ne ressens pas le besoin de parler, mais Jesse soupire rapidement avant de relever ses yeux multicolores vers moi. - T’as prévu quoi pour ce soir ? - Je vais finaliser le marché. - Avec la fille qui t’a largué ? - Oui. Elle ne sort pas souvent, mais elle a une soirée d’affaire ce soir, la remise d’un prix d’architecture à un de ses collègues. Je pense que ce sera moins louche de la trouver là-bas que de me pointer sur le pas de sa porte. Jesse hoche la tête, songeur. - C’est pour ça qu’Adriana a déposé ça ? demande-t-il en désignant le costume. Je hoche la tête. J’en ai parlé à la démone quand elle m’a demandé pourquoi je ne me bougeais pas les fesses hier soir. - Je peux venir avec toi ? demande Jesse. Je le fixe avec suspicion, mais il m’accorde un large sourire. - Allez, Connard. Le soutien fraternel entre Incubes et tout ça ? Et puis il y a possibilité de choper de la business girl… Je soupire, mais quelque part, ça me rassure de ne pas y aller seul. - Il faudra juste qu’on trouve le moyen d’enter, concédé-je. - Oh, t’inquiète ! s’amuse Jesse. On entre où on veut quand on veut… Je lui accorde un regard interrogateur et ses yeux se mettent à briller de malice. - Tu verras bien quand tu sortiras. L’effet qu’on fait aux gens, c’est dingue. Superpouvoir, je te dis. Je lève les yeux au ciel. Dire que je suis coincé avec lui… Je débarrasse ma tasse et prends la direction de ma chambre à l’étage. Je suis au milieu des escaliers quand je pense à crier « trouve-toi un costume ! » - Ça marche, Connard ! Ouais, c’est ce qu’est devenu ma vie depuis que je suis mort.
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