Chapitre 14 Bast a donné un coup de vieux à l’expression « faire les cent pas ». Elle doit en avoir fait un bon million avant de finalement s’arrêter.
Elle me fait face à présent. A mes côtés, Caleb ne bouge pas un muscle. J’aurais pu croire qu’il ne connait pas la même terreur que moi, mais son corps est trop immobile pour qu’il soit détendu. Il semble prêt à l'attaque. - Ça va aller, me rassure-t-il quand il remarque que je l’observe. On va y arriver. Ses yeux verts bouteille brillent d’un courage et d’une volonté que j’aimerais partager. Horus a disparu depuis quelques minutes après la demande de ma mère d’amener le portail. J’ai déjà peur de savoir à quoi peut ressembler un portail menant au royaume des morts. - Bon, commençons. Bast tend la main vers le plafond et un parchemin plié apparait dedans, comme si elle venait de le cueillir dans l’air. - Ça devrait t’aider, dit-elle en me le posant sur le bras. Pendant une seconde, il ne se passe rien, puis je ressens soudain une brûlure qui s’étend à tout mon bras et je ne peux pas m’empêcher de hurler. J’entends à peine Caleb rager : « mais qu’est-ce que vous foutez ! ». Bast ne répond pas. La brûlure diminue et disparait. Lorsque je regarde mon bras, je ne peux retenir un hoquet. Depuis l’épaule, jusqu’au poignet s’étendent de minuscules hiéroglyphes noirs encrés dans ma peau. - Qu’est-ce que c’est que ça ? - La transcription du livre des morts que ton père a écrit. - Mon père ? Elle soupire, mais hoche doucement la tête. Il y a quelque chose dans ses yeux qui ressemble à s’y méprendre à de la peine, mais elle a un petit sourire. - Il était le scribe de Pharaon. Le livre des morts accompagne les âmes dans le royaume souterrain. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais certainement pas à me sentir nostalgique d’un homme que je n’ai jamais connu. Caleb serre doucement mon épaule de sa large main calleuse, comme s’il pouvait lire en moi. Ce contact est plus réconfortant que je ne pourrais l’expliquer. J’aimerais qu’elle m’en dise plus sur mon père, mais je suppose que ça devra attendre que je revienne… si je reviens. A cette pensée, je ne peux m’empêcher de m’approcher de mon protecteur. Il passe un bras autour de mes épaules pour m’apaiser, même s’il ne sait pas que ma détresse a changé de carburant. Je me reprends rapidement et reviens au sujet qui nous intéresse pour le moment. - Et à quoi va servir ce tatouage ? - A ouvrir les portes du monde des morts. - Le portail ? - Non. Une fois arrivés dans le domaine d’Osiris, il vous faudra passer les cinq portes qui mènent à la salle du jugement. Elle pointe du doigt le haut du tatouage et commence à lire les signes qui n’ont plus aucun sens pour moi. - La première porte est faite de bois et ne se dépasse qu’avec la force de la foi, la seconde porte est de fer, elle cache les secrets d’hier, blanche est la troisième porte qui retient les cauchemars, la quatrième porte noie la raison dans ses eaux noirs et la cinquième porte qui repose là, la cinquième porte n’existe pas. - Hum… oui, très utile. Je ne sais pas si elle ne capte pas le sarcasme, ou si elle s’en moque. Elle hoche simplement la tête avant de fermer les yeux. - Horus arrive. Elle fronce soudain les sourcils et crache comme un chat. - Qu’est-ce qui se passe ? s’enquiert Caleb. - Il n’est pas seul, grogne-t-elle avec dégoût. Dans un timing parfait, Horus apparait tenant le côté gauche d’un immense miroir doré. Le côté droit est soutenu par une adolescente dont les longs cheveux noirs volent comme si elle était sous l’eau. Ses yeux sont d’un bleu très pâle comme ceux d’un aveugle. Elle porte une longue robe qui semble être tissée dans de l’or pur. Plus je la regarde, plus je sens une vague d’apaisement me gagner. Elle me donne envie de me réfugier près d’elle et de la laisser me materner. Je fais un pas vers elle, comme hypnotisé, mais Caleb me tire en arrière pour me ramener contre son torse et je sors de ma torpeur pour entendre Bast demander : - Qu’est-ce que tu fais là ? - Les étoiles m’ont parlé, répond la nouvelle venue d’une voix aussi douce que la brise. Je ne peux pas détacher mes yeux d’elle. - C’est bien, crache Bast. Moi qui croyais que rien ni personne ne voulait tenir de conversation avec toi. Mes yeux reviennent immédiatement à la déesse féline. Comment peut-elle adopter un ton aussi venimeux envers un être si paisible ? Une expression indignée a dû passer mes lèvres parce que tous les regards convergent vers moi. - Tu ne nous présentes pas ? demande la déesse. Ses yeux pâles retiennent les miens et elle sourit. Immédiatement, Caleb resserre sa prise sur moi. Bast crache à nouveau. - Touche à mon fils et je te ferai ravaler tes prophéties ! - Calmez-vous mes sœurs, intervient alors Horus. Il lève ses deux mains et se tient entre elles. Je suis persuadé que le miroir va tomber, mais il reste à la verticale sans l’aide de personne. - Mâat, déesse de la destinée et de l’ordre universel, voici Djet, fils de Bast et son protecteur Caleb, fils de ... - Euh… Jack ? suggère mon ami. Horus renifle comme pour s’empêcher de rire. - Intéressant, murmure Mâat. - Qu’est-ce qu’elle fait ici ? demande ma mère en se tournant vers Horus cette fois-ci. - Elle sait pour l’aune. - Bien-sûr que je sais, répond-t-elle comme si elle trouvait complètement idiot d’avoir à le préciser. Je suis là pour vous aider. - Nous aider ? Où étais-tu quand j’avais besoin de toi ma sœur ? - Je ne peux pas effacer ce qui est destiné. - C’est toujours la même chose avec toi. Comment tu comptes nous aider dans ce cas ? - Si l’aune est amenée ici, je la mettrai en sécurité en attendant qu’elle soit retournée au monde des morts. Il s’agit de mon aune. Je n’ai jamais vu Bast aussi exaspérée. - Parfait ! Bon, va te mettre quelque part et laisse nous travailler dans ce cas. La main de Mâat se tend vers moi et j’ai envie de m’approcher, mais la voix d’Horus coupe mon élan. - Ne le touche pas, Mâat ! - Très bien, dit-elle avec un sourire. Très bien. Je me demande pourquoi ils refusent de la laisser approcher. - Si elle te touche, tu es condamné, explique Horus. Les bras de Caleb passent sur mon torse pour me tenir encore plus fermement contre lui et je n’ai pas besoin de le regarder pour savoir qu’il fusille Mâat du regard, mais elle se contente de sourire comme si elle cachait un secret. Elle recule et va s’assoir sur le bras du canapé. Horus reprend sa place à la gauche du miroir et Bast se met à droite. Ils échangent un long regard qui met mes nerfs à vif avant de toucher la surface réfléchissante qui se met immédiatement à onduler comme la surface d’un lac. - Bonne chance, souffle Bast alors que les hiéroglyphes gravés dans le cadre du miroir s’illuminent. - La chance n’existe pas, intervient Mâat. - La ferme ! répond ma mère puis sa voix devient plus douce. Tu peux y arriver Djet. - Touchez la surface du miroir, ordonne Horus. Caleb et moi tendons la main. Je m’attendais à ressentir une sensation de mouvement pour attester de notre déplacement, mais cela n’arrive pas. La différence est beaucoup plus brutale. Une seconde on se tient dans le salon de Caleb et je sens la surface du miroir sous mes doigts, la suivante, je suis seul, mes narines se trouvent obstruées et de l’eau froide entoure tout mon corps. J’ouvre les yeux et ne vois que du noir. Comment savoir où est la surface ? Je suis sûr d’avoir déjà vu quelque chose à ce propos. La salive ? Non, ça c’est quand on est pris dans une avalanche. Dans l’eau… c’est l’air. Évidemment. Les bulles d’air qui s’échappent de ma bouche remontent le long de mon cou, je suis dans le mauvais sens. Je sais que je ne dois pas paniquer au risque de m’enfoncer plus profondément, mais alors même que je me retourne et pousse de toutes mes forces vers la surface, j’ai le sentiment que l’eau noire qui m’entoure cherche à m’engloutir comme si elle possédait sa volonté propre. Une volonté meurtrière. J’ai l’impression de me débattre pendant des heures sans arriver à sortir. Soudain quelque chose bouge et mon bras est pris dans un étau. Je me débats avant de me rendre compte qu’on me hisse vers la surface. L’air qui entre soudain dans mes poumons me brûle et il me faut quelques secondes pour me remettre du changement. Je sens une plateforme solide ballotter sous moi. Une barque ? J’ouvre les yeux pour voir Caleb penché au-dessus de mon visage. Il sourit quand j’ouvre les yeux, mais il me fixe avec une intensité qui me donne l’impression qu’il ne m’a jamais vu avant. - Qu’est-ce qu’il y a ? - Ton visage, souffle-t-il. Je passe une main sur mon visage, mais je ne ressens rien. La peau est parfaitement lisse. Je me relève alors. Nous sommes sur une barque, comme je le pensais. Mais il ne s’agit pas d’une barque quelconque, c’est une barque funéraire du Nil, semblable à la barque solaire de Kéops. En cèdre avec des bouts recourbés et de fines pagaies. Je me penche au-dessus de l’eau et de longs cheveux coulent sur mes épaules avec le mouvement. Leur longueur me surprend, mais pas autant que le reflet qui me fixe sur la surface de l’eau. C’est moi, oui mais le moi que j’étais il y a bien longtemps de cela. Le fait que je trouve ma peau lisse au toucher aurait dû me mettre la puce à l’oreille. La cicatrice qui barre ma joue a disparu. Un collier pend autour de mon cou. Il s’agit d’une lourde croix ansée en or. Mes vêtements sont totalement noirs, mis à part les yeux de chat dessinés sur les épaules de ma veste, signe de Bast. Quand je me tourne vers Caleb, je remarque qu’il a changé aussi. Son visage est le même, mais il semble pris dans une expression dure, guerrière. Ses vêtements ont été remplacés par le plastron et le pantalon de cuir qu’il portait lorsqu’il a affronté Am-Heh. Et là où je porte les yeux de chats, il porte la marque d’Horus. Les deux yeux du dieu reliés en leur centre par une croix ansée argentée. - Le miroir des âmes, soufflé-je, sonné. Traverser ce miroir nous a donné l’apparence que reflète notre âme. Je suis le fils d’une déesse et Caleb, un guerrier. Je l’explique à Caleb quand il me fixe avec un regard interrogateur et il hoche doucement la tête. - Je vois, dit-il. Eh bien, on n’a plus qu’à s’attaquer aux portes des morts. - Encore faut-il trouver la première. - J’ai une plutôt bonne idée d’où elle se trouve. C’est à mon tour de l’interroger et il sourit - ça a un air sardonique sur son visage dur - avant de tendre la main vers la rive où se trouvent deux immenses portes de bois qui semblent ne donner sur rien. - Bon, plus qu’à pagayer alors, soufflé-je.
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