Je me sens épuisé, mais je ne parviens pas à fermer l’œil. Caleb doit déjà s’être rendormi, mais tout ce que je vois c’est qu’il fait nuit. Je me tourne à nouveau et mon regard revient vers la fenêtre par laquelle je vois les étoiles. Je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou non. D’un côté, la malédiction semble levée, mais d’un autre, cela signifie que le danger inconnu dont m’a parlé Bast s’approche. Et j’ai peur… pour lui.
Après une dizaine de minute, j’abandonne l’idée même de dormir et me relève. J’avance à pas lents vers la fenêtre que j’ouvre doucement. Je ne tiens pas à réveiller Caleb. Dès que l’air de la nuit arrive à mes narines, un sourire s’étend sur mes lèvres. Ce parfum… je ne pensais pas le sentir à nouveau un jour. L’air est frais, un peu humide et il porte cette odeur indéfinissable qu’on ne peut retrouver que lorsque l’obscurité a envahi les rues. Je mets un moment à me rendre compte que mes mains tremblent. Mon corps entier vibre de l’envie de sortir, de voir la nuit. Je prends rapidement ma décision et enfile la veste de Caleb - qui est bien trop grande pour moi - et des chaussures. La porte se ferme avec un cliquètement discret derrière moi et je me retrouve dans la petite allée. J’ai l’impression qu’un poids a été levé de mes épaules. Mes poumons se gonflent à chaque inspiration profonde. La rue semble totalement différente de ce qu’elle est en journée. Il n’y a pas de voitures, les lumières du café au bout de la rue, sont éteintes. Personne sur les trottoirs, j’ai l’impression d’être seul au monde. Les gens trouvent cela inquiétant, menaçant. Pas moi. Tout est baigné de douceur et de mystère. La nuit tout est possible. Les couleurs des maisons, des voitures, de tout ce qui constitue cette rue, sont fanées dans des teintes de gris et de noir. J’avais oublié à quelle point la nuit est belle quand on peut l’apprécier comme un être humain et non comme un chat qui ne pense qu’à trouver de la chaleur et de la nourriture. Je commence à déambuler sans but, resserrant autour de moi les pants de la veste qui est lourdement chargée du parfum de Caleb. Ce moment ne pourrait être plus parfait que s’il était là avec moi, son bras lourd et rassurant entourant mes épaules pour me serrer contre son flanc alors qu’on marche tranquillement, sans raison apparente. Juste pour la nuit, pour être ensemble quand le reste du monde est endormi… Mieux vaut que je ne m’attarde pas sur cette pensée, si j’emprunte cette route, un cœur brisé m’attend à la prochaine intersection. Je laisse mes pieds me porter à travers les rues. Le poste de police est éclairé, l’équipe de nuit a remplacé celle de jour – pas de repos pour les braves. Peu à peu, mon sourire retombe. J’ai l’impression d’être observé, mais lorsque je me retourne, je ne vois personne. Je n’ai pas peur de la nuit et de l’obscurité, je sais que ce sentiment n’est pas de la simple paranoïa de ma part. Mon pas se presse, à présent impatient de retrouver Caleb et le sentiment de sécurité que je ne connais qu’auprès de lui. Le vent se lève soudain, chaud comme une caresse et sifflant furieusement dans l’imitation d’un chant. Mes oreilles me donnent l’impression de se dresser, à l’écoute. “Je suis l'Espace infini et de celui-ci les Etoiles infinies” murmure le vent nocturne. Et c’est avec un frisson que je me souviens de l’avertissement de Bast : « La malédiction. Elle te protège des yeux de la nuit en te cachant sous une forme féline en attendant que ton protecteur te libère. » Non. Mais alors même que je pense ce mot, je sais qu’il est trop tard. « Je vois, par les yeux des astres, l’enfant de millénaires perdus. » Non, pensé-je à nouveau. « Car chacun de nous est une étoile. Voyez, mes enfants, le sang mêlé qui revient vers nous. » - Je t’en supplie Nout, je t’en prie… soufflé-je dans la nuit. Mais elle ne m’écoute pas. Nout célèbre mon retour, comme elle célèbre tous les dieux. Elle se moque que je sois un bâtard et de savoir que les autres ne m’accueilleront pas les bras ouverts. Pour elle ce n’est pas une trahison, mais une reconnaissance. Nout est au-dessus de tous les combats, au-dessus de la haine qui peut diriger les dieux. Mais sa célébration me trahit. Et je me mets à courir sans même y penser. Tout ce que je vois, c’est que je dois rejoindre Caleb le plus vite possible. C’est assez bête au fond. Qu’est-ce qu’un simple humain pourrait bien faire si les dieux décident de faire de moi leur dernier trophée de chasse ? Mais ça a beau être irrationnel, j’ai l’impression qu’en le retrouvant, je serai à l’abri. Cela vient peut-être de la façon qu’a Bast de parler de lui, comme de mon Protecteur, je ne sais pas vraiment. Mais c’est instinctif. Je cours de plus en plus vite. Pendant tout le chemin, la voix de Nout, légère et chaleureuse, m’accompagne. Mais je suis terrifié. Je ne croise pas âme qui vive. Mes poumons me brûlent. Je ne me souviens pas avoir couru aussi vite un jour. Les ombres si mystérieuses semblent à présent s’allonger en longues griffes qui tentent de m’atteindre et je sais que si elles trouvent une prise sur moi, je serai perdu. Si je ne parviens pas à leur échapper, elles s’enfonceront dans ma chair et déchireront jusqu’à ce qu’il ne reste de moi que des pièces. Ce n’est qu’une impression, jusqu’à ce que je passe à côté d’une benne à ordure et que je voie l’ombre qui était projetée derrière s’étirer pour suivre ma progression. Je ne l’imagine pas. Les griffes noires sont réelles. Ma respiration se bloque dans ma gorge et j’ai le sentiment que je vais m’évanouir si je m’arrête à chercher un plan pour leur échapper. Tout ce que je peux faire est de pousser plus fort sur mes muscles pour m’en éloigner le plus vite possible. Bast ! appelé-je mentalement. Aide-moi ! Je ne pourrais pas l’appeler à voix haute, même si je le voulais. Je n’ai plus assez de souffle pour crier. J’y suis presque, j’y suis presque ! Il ne me reste que trois rues à traverser avant d’être chez Caleb, quand j’entends les aboiements commencer. Ils semblent être sur mes talons, mais je ne peux pas prendre la peine de tourner la tête parce que j’ai le sentiment que si je vois l’animal, il sera trop tard pour lui échapper. Soudain, je sens des crocs effleurer mes mollets. - Bast ! crié-je avec moins de puissance que je l’aurais voulu. C’est un son trop aigu et terrifié. Les crocs me frôlent à nouveau, le chien va m’attraper, ça ne fait aucun doute. Un nouveau son brise le silence de la nuit, si paisible lorsque je passais tranquillement cette rue tout à l’heure. Mais ce n’est pas un aboiement, c’est le cri d’un oiseau de proie qui fond sur moi. Cette fois, c’est fini ! pensé-je avec désespoir. Je ne peux pas éviter l’oiseau, le chien et les ombres. Mais contre toute attente, le faucon ne s’attaque pas à moi. Il passe à un millimètre de ma tête et j’entends un aboiement douloureux. Le chien ! Il a arrêté le chien ! - Merci Horus ! soufflé-je et un cri victorieux me répond. Je ne m’arrête pas de courir pour autant. J’arrive enfin en vue de la maison de Caleb. J’y suis ! pensais-je. Je m’arrête net dans la petite allée. Un chacal noir est assis devant la porte et me regarde avec, sur la gueule, ce qui ressemble à un sourire cruel. En me voyant figé, il se lève et avance vers moi. Dans un sursaut, je prends la poubelle métallique qui trône dans l’allée, dans l’attente d’être rentrée, et la projette dans sa direction. Son expression passe de mauvaise à clairement meurtrière quand je l’atteins en pleine poitrine. Le chacal semble devenir plus gros à mesure que je le regarde. Je ne vois pas le changement se produire vraiment, c’est exactement comme lorsque le soleil se lève. On voit sa progression si on détourne les yeux, mais en le regardant, on ne le voit pas bouger et pourtant on ne peut pas nier que sa position ait changée. Quand mes yeux croisent les siens d’un noir abyssal, je sais qui il est. Am-Heh. Le dévoreur de millions d’âmes. Ses yeux sont comme des trous noirs qui absorbent ce qui se trouve de chaleur et de vie en chaque chose. Je sens mes forces et ma combativité m’abandonner alors que son regard m’affaiblit, mais je ne peux pas m’en détourner, jusqu’à ce qu’il tourne la tête quand un bruit vient perturber l’allée. Je regarde ce qui a pu perturber le chacal et vois la porte s’ouvrir. Caleb apparait accompagné de Bast. Elle est aussi belle que toujours, mais elle ne porte pas de robe aujourd’hui. Elle est moulée d’une cuirasse. Ses longs cheveux de nuit tombent sur les épaules de son plastron d’argent où brillent des yeux de chat dorés. Elle sort et lève les bras vers les ténèbres qui m’ont entouré pendant que les yeux d’abysse me retenaient. Les ombres fuient devant la lumière qui se dégage d’elle. A ses côtés Caleb est torse nu, portant seulement un pantalon de survêtement noir. Mes yeux se fixent sur lui. Je ne sais pas comment il peut paraitre intimidant alors qu’il n’est qu’humain et ne semble pas paré pour un combat, mais c’est le cas. Là où Am-Heh ne dégage qu’un souffle de mort et une promesse de vide, Caleb est la Force, celle de la vie et de la volonté. Il ne dénote pas parmi les dieux. Remarquer tout cela ne me prends qu’une dizaine de secondes, mais cela suffit à ce que je perde ma concentration et ne vois pas le danger arriver. Am-Heh s’est précipité vers moi pendant que mon attention était détournée et ses crocs s’enfoncent dans mon épaule. Là où le contact se fait, je ressens le froid s’emparer de moi, comme si sa gueule abritait une morsure de glace. Un cri de surprise passe mes lèvres. Caleb s’élance immédiatement vers nous. J’ai envie de lui crier de faire demi-tour. Il est trop exposé, Am-Heh va le tuer. Mais Caleb attrape la queue de l’animal et tire d’un coup sec, les mâchoires se desserrent pour grogner dans sa direction. Dès qu’il m’a lâché, Caleb se jette sur lui, ils roulent un moment. Les griffes laissent des trainées de sang sur le torse de Caleb, mais le chacal ne peut pas le mordre, sa gueule maintenue ouverte par la prise de Caleb sur ses mâchoires. Bast murmure quelque chose que je n’entends pas, je suis trop occupé à me relever pour venir en aide à Caleb, malgré la morsure du froid qui ne semble pas me quitter. J’ai l’impression d’être en train de mourir. Je me traine près de l’arbre au bout de l’allée et récupère une branche laissée après l’élagage. Dès que la voix de Bast se tait, un plastron de cuir noir apparait sur le torse de Caleb. Un de ses bras est également recouvert de cuir épais alors que l’autre reste libre. Les griffes qui labouraient sa peau se brisent soudain sur le plastron et le chacal laisse échapper un cri de douleur. Caleb relâche ses mâchoires et le frappe à la tempe. L’animal recule, mais revient à l’attaque tout aussi vite. Caleb se relève et je remarque que son pantalon a été remplacé par du cuir épais qui ne semble pas gêner ses mouvements. Ses lèvres sont retroussées comme s’il était aussi animal que le chacal à ce moment. Je ne l’ai jamais vu aussi terrifiant, ni aussi beau. Une trainée de sang sur sa joue, un regard protecteur lorsqu’il se tourne vers moi, mais meurtrier quand il revient vers l’animal dont les crocs sont découverts et portent la trace écarlate de mon sang. Am-Heh ne perd pas de temps, il attaque, crocs en avant. Caleb lui présente son bras cuirassé. Mais une fois que la mâchoire est refermée sur le cuir, je peux voir que la pression exercée suffit à le faire grimacer. Je trouve une bonne prise sur la branche morte que je tiens à la main et la balance à bout de bras, comme si je cherchais à frapper la balle qui m’offrirait un home run. Juste avant de frapper, la branche se transforme sous mes yeux pour prendre la forme d’une épée brillante. Un regard incrédule vers Bast me fait comprendre que c’est bien de son fait. Elle combat toujours les ténèbres, mais garde un œil sur nous. Le tranchant de l’arme entame la peau du chacal qui jappe alors que son sang apparait sur son flanc. Il est à terre, mais je sais que ça ne durera pas. Je l’ai à peine blessé. Dès que le bras de Caleb est libre, je prends sa main et l’attire vers la maison. Je peux voir qu’il préfèrerait rester à se battre, mais j’ai peur. Oui, il est fort et intimidant, mais ce n’est pas un dieu. Il hésite, mais finit par refermer son bras autour de moi et on s’appuie l’un à l’autre en entrant. Dès qu’on passe la porte, mon épée redevient une branche et l’armure de cuir qui recouvrait Caleb disparait. Au dehors, j’entends le cri d’un faucon qui approche. Mes mains se posent sur Caleb sans mon accord, frénétiques et tremblantes. J’ai besoin de m’assurer qu’il n’a rien de plus que les griffures que je vois sur son torse. Il me laisse faire un instant avant de saisir mes mains et de les maintenir contre son torse nu. Il cherche mon regard et hoche gravement la tête quand il le croise. - Je vais bien, dit-il d’une voix égale. Ça va, Djet. Je le fixe pour m’en convaincre. Il va bien. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que les autres ne peuvent pas entrer ici. Peut-être Bast a-t-elle placé une protection autour de la maison. Dans tous les cas, on est en sécurité. Caleb m’attire contre lui, ses bras se refermant autour de moi. Il ne m’a pas serré aussi fort depuis le jour où il m’avait cru mort après l’appel d’un de ses agents. - Merde, Djet… souffle-t-il. Il y a de l’émotion dans ces deux mots. Du soulagement et de l’affection. Caleb n’est pas un homme de longs discours, mais ce qu’il peut faire passer en deux mots suffit largement. Il dépose un baiser sur ma tempe et plonge ensuite son visage dans mon cou. Je le serre en retour. J’aimerais n’avoir jamais à le relâcher. Je suis surpris d’avoir froid même dans ses bras. Il dégage toujours la chaleur d’un radiateur. Mais même si je me sens protégé et content, j’ai froid. Caleb me relâche au bout d’un moment en me demandant : « qu’est-ce qui s’est passé ? » J’aimerais lui répondre, mais le froid est soudain tout ce que je ressens. Le liquide glacé dans mes veines. La morsure. La morsure du dévoreur d’âme. Voilà d’où vient ce froid. Je sens mes jambes qui lâchent et le corps dur de Caleb qui me rattrape, mais le néant m’emporte déjà.
7 Commentaires
Ven
9/7/2014 01:57:05 am
MDR ! Mais non, enfin. Je travaille mon côté dramatique ^u^
Répondre
Rhalala, mais tu nous laisses comme ça ? Avec Djet blessé par le dévoreur d'âmes ?? Tu n'as pas honte ?! Sadique, va ! :D
Répondre
Ven
9/7/2014 03:11:36 am
Moi ? Une sadique ? Oh, je suis outrée ! ... Bon, peut-être un pti piou alors :p
Répondre
Oidche
9/7/2014 03:30:17 am
Bah, "sadique" avec moi, ça devient presque un petit nom affectueux, lol.
pepette
9/7/2014 05:38:45 am
d'ac avec les filles
Répondre
Ven
9/7/2014 07:32:49 am
Héhé, le sadisme n'a pas assez d'adeptes, j'essaie de relancer la mode :p
Répondre
Laisser un réponse. |
Ven's blog
|